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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/333

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Un soir que la reine rentrait de chez la duchesse, elle dit à son valet de chambre d’apporter sa queue de billard dans son cabinet, et m’ordonna d’ouvrir l’étui qui contenait cette queue. Je fus étonnée de n’en pas trouver le cadenas dont la reine portait la clef à la chaîne de sa montre. J’ouvris l’étui et j’en retirai la queue en deux morceaux. Elle était d’ivoire, et faite d’une seule dent d’éléphant ; la crosse en était d’or, travaillée avec infiniment de goût. « Voilà, me dit-elle alors, de quelle manière M. de Vaudreuil a arrangé un bijou auquel j’attachais un grand prix. Je l’avais posée sur le canapé, pendant que je parlais à la duchesse dans le salon ; il s’est permis de s’en servir, et dans un mouvement de colère, pour une bille bloquée, il a frappé la queue si violemment contre le billard, qu’il l’a cassée en deux. Le bruit me fit rentrer dans la salle ; je ne lui dis pas un seul mot ; mais je le regardai avec l’air du mécontentement dont j’étais pénétrée. Il a été d’autant plus affligé de cet accident, qu’il vise déjà à la place de gouverneur du dauphin, et qu’avec cette ambition, l’emportement n’est pas un défaut à laisser éclater. Je n’ai jamais pensé à lui pour cette place. C’est bien assez d’avoir agi selon mon cœur pour le choix d’une gouvernante, et je ne veux pas que celui de gouverneur du dauphin dépende en rien de l’influence de mes amis. J’en serais responsable à la nation.

» Le pauvre malheureux, ajouta la reine, ne