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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/379

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lettres qu’ils jugeaient à propos de décacheter. Les ministres eux-mêmes étaient soumis à cette inconcevable inquisition. On sent tout le danger d’un pareil ministère, quand, ou l’animosité, ou l’intérêt personnel, ou enfin des considérations particulières, dirigeaient de tels extraits. Vingt commis, inconnus à l’administration, étaient, nuit et jour, secrètement occupés à intercepter les lettres et à faire les extraits. C’est par ce moyen que Louis XV découvrit la correspondance du comte d’Argenson avec une de ses maîtresses favorites, et dans laquelle ce ministre, si favorisé de son maître, s’exprimait, avec peu de retenue et de respect, sur le caractère du roi. Sa disgrâce subite et inattendue suivit de près la violation du secret des lettres.

» Par une suite de son caractère défiant et curieux, ce monarque s’était aussi ménagé, près des cours de l’Europe, un ministère secret, absolument ignoré du ministre des affaires étrangères. Le roi, pour qui ce mystère était une véritable jouissance, voulait, de cette manière, juger la conduite de son ministre dans les différentes cours, et comparer les rapports que celui-ci faisait avec ceux que lui transmettait son ministère secret : les agens et les correspondans de cette ténébreuse politique étaient soudoyés par le roi lui-même sur sa cassette particulière. Ils étaient du choix du ministre secret qui travaillait directement avec Sa Majesté, et lui répondait de la discrétion des personnes à qui, par son intermédiaire, ses instructions étaient confiées. Le voile le plus épais couvrait cette obscure diplomatie. Le ministre secret arrivait chez le roi, par des détours connus du valet de chambre de confiance qui l’introduisait, aux jours et heures convenus.

» On donnait, pour cette correspondance, la préférence, soit à un ambassadeur, soit à un secrétaire, quand on avait la certitude de leur discrétion ; mais si l’on croyait leur en devoir dérober à tous deux la connaissance, on prenait des mesures pour faire arriver et séjourner près d’eux les sup-