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un principe de républicanisme ; on se tromperait : il était royaliste par opinion politique, mais il connaissait et craignait le séjour de la grandeur. On peut être royaliste et philosophe, comme il arrive d’être républicain intrigant et ambitieux[1]. »

Mademoiselle Genet, à quinze ans, était un peu moins philosophe que son père à quarante. Ses yeux furent éblouis de l’éclat dont brillait Versailles. « La reine Marie Leckzinska, femme de Louis XV, venait de mourir, dit-elle, lorsque j’y fus présentée. Ces grands appartemens tapissés de noir, ces fauteuils de parade élevés sur plusieurs marches, et surmontés d’un dais orné de panaches ; ces chevaux caparaçonnés ; ce cortége immense en grand deuil ; ces énormes nœuds d’épaules brodés en paillettes d’or et d’argent qui décoraient les habits des pages, et même ceux des valets de pied ; tout cet appareil enfin produisit un tel effet sur mes sens, que je pouvais à peine me soutenir, lorsqu’on m’introduisit chez les princesses. Le premier jour où je fis la lecture dans le cabinet intérieur de madame Victoire, il me fut impossible de prononcer plus de deux phrases ; mon cœur palpitait, ma voix était tremblante et ma vue troublée. Magie puissante de la grandeur et de la dignité qui doivent entourer les souverains, que vous étiez bien calculée ! Marie-Antoinette, vêtue en blanc avec un simple chapeau de paille, une légère badine à la main, marchant à pied suivie d’un seul valet, dans les allées qui conduisaient au Petit-Trianon, ne m’aurait pas fait éprouver un pareil trouble ; et cette extrême

  1. Fragment manuscrit.