Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

afin que ses longues nuits sans sommeil fussent moins pénibles. Vers le milieu d’une de ces nuits, où la lune éclairait sa chambre, elle la contempla et me dit que dans un mois elle ne verrait pas cette lune, sans être dégagée de ses chaînes et sans voir le roi libre. Alors elle me confia que tout marchait à la fois pour les délivrer, mais que les opinions de leurs conseillers intimes étaient partagées à un point alarmant ; que les uns garantissaient le succès le plus complet, tandis que les autres leur faisaient entrevoir des dangers insurmontables. Elle ajouta qu’elle avait l’itinéraire de la marche des princes et du roi de Prusse ; que tel jour ils seraient à Verdun, tel autre dans un autre endroit ; que le siége de Lille allait se faire ; mais que M. de J***, dont le roi ainsi qu’elle estimaient la sagesse et les lumières, les alarmait beaucoup sur le succès de ce siége, et leur faisait craindre, quand même le commandant leur serait dévoué, que l’autorité civile, qui par la constitution donnait une grande force aux maires des villes, ne l’emportât sur le commandant militaire. Elle était aussi très-inquiète de ce qui se passerait à Paris pendant cet intervalle, et me parla du peu d’énergie du roi, mais toujours dans des termes qui peignaient sa vénération pour ses vertus et son attachement pour lui. « Le roi, disait-elle, n’est pas poltron ; il a un très-grand courage passif, mais il est écrasé par une mauvaise honte, une méfiance de lui-même, qui vient de son éducation autant que de son ca-