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Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 2.djvu/98

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Depuis le commencement de la révolution, le général Luckner se permettait souvent de violentes sorties contre elle. Sa Majesté ayant su que je voyais une dame liée depuis long-temps avec ce général,

    tous les sens, et l’on bâillait au-dessus d’elle. L’ennui des loges vengeait les gênes du parterre. Celui-ci, à la vanité près, triste dédommagement de l’ennui, n’était pas le plus mal partagé ; en sorte que tout le monde était à peu près satisfait.

    » Des hommes sont venus et ont entrepris de désabuser le parterre de ses jouissances, et de lui persuader que ses plaisirs, quoique mêlés d’épines, n’étaient pas des plaisirs. Le théâtre était supporté par un vaste pivot. Ils lui ont imprimé un mouvement de révolution, en le faisant tourner sur lui-même. Ils ont amené sur la scène ce que les toiles et les rideaux cachaient. Ils ont mis derrière ce qui était devant, et devant ce qui était derrière. Ils ont ensuite troué les toiles, détaché les cadres et les poulies, coupé les cordes, dépendu les nuages, et présentant à l’œil du spectateur étonné tous ces débris huileux, noircis et enfumés : Stupides admirateurs, se sont-ils écriés, voilà les objets de votre enchantement ! voilà vos dieux, vos aïeux, vos rois et vos héros ! Prosternez-vous encore !

    » Celui qui, aujourd’hui, pour tirer d’embarras les législateurs français, leur tiendrait ce langage : Messieurs, vous le voyez, vous avez beau vous débattre ! vous vous noyez ; l’anarchie vous gagne ; vous n’avez qu’un parti à prendre, c’est de rétablir l’opéra. Celui qui parlerait ainsi ne serait à coup sûr qu’un imbécille. Mon ami, lui dirais-je, le mal est fait ; l’illusion est détruite et pour long-temps. C’est pour long-temps que la mer en courroux ne sera que des cartons ; les palais enchantés que de grossières couleurs sur une toile raboteuse, éclairée par de la graisse de mouton. » (La Philosophie de la politique, tom. II, p. 202-204.)

    (Note de l’édit.)