Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/11

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Un vieux médecin ordinaire de Louis XIV, qui existait encore lors du mariage de Louis XV, raconta au père de M. Campan une anecdote trop marquante pour qu’elle soit restée inconnue. Cependant ce vieux médecin, nommé M. Lafosse, était un homme d’esprit, d’honneur, et incapable d’inventer cette histoire. Il disait que Louis XIV ayant su que les officiers de sa chambre témoignaient, par des dédains offensans, combien ils étaient blessés de manger à la table du contrôleur de la bouche avec Molière, valet de chambre du roi, parce qu’il avait joué la comédie, cet homme célèbre s’abstenait de se présenter à cette table. Louis XIV, voulant faire cesser des outrages qui ne devaient pas s’adresser à l’un des plus grands génies de son siècle, dit un matin à Molière à l’heure de son petit lever : « On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et que les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour manger avec eux. Vous avez peut-être faim, moi-même je m’éveille avec un très-bon appétit ; mettez-vous à cette table, et qu’on me serve mon en cas de nuit. » Alors le roi, coupant sa volaille et ayant ordonné à Molière de s’asseoir, lui sert une aile, en prend en même temps une pour lui, et ordonne que l’on introduise les entrées familières qui se composaient des personnes les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. « Vous me voyez, leur dit le roi, occupé de faire manger Molière que mes valets de chambre ne trouvent pas