Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

assez bonne compagnie pour eux. » De ce moment, Molière n’eut plus besoin de se présenter à cette table de service, toute la cour s’empressa de lui faire des invitations[1].

  1. Cette anecdote est peut-être une de celles qui honorent le plus le caractère et la vie de Louis XIV. On est touché de voir ce roi superbe, accueillant, dans le comédien Molière, l’immortel auteur du Misanthrope et du Tartufe. Voilà par quels traits un prince qui a de la grandeur sait venger le génie de la sottise et le récompenser de ses travaux.

    Louis XV aussi voulut encourager les lettres, mais il ne put leur accorder que cette protection froide et hautaine, qu’aucune grâce, qu’aucun mouvement bienveillant n’accompagne, et qui alors humilie plus qu’elle ne touche.

    Les piquans Mémoires de madame du Hausset contiennent le passage suivant :

    « Le roi qui admirait tout ce qui avait rapport au siècle de Louis XIV, en rappelant que les Boileau, les Racine, avaient été accueillis par lui, et qu’on leur attribuait une partie de l’éclat de ce règne, était flatté qu’il y eût sous le sien un Voltaire ; mais il le craignait et ne l’estimait pas. Il ne put s’empêcher de dire : « Je l’ai aussi bien traité que Louis XIV a traité Racine et Boileau ; je lui ai donné, comme Louis XIV à Racine, une charge de gentilhomme ordinaire et des pensions. Ce n’est pas ma faute s’il a la prétention d’être chambellan, d’avoir une croix et de souper avec un roi. Ce n’est pas la mode en France ; et, comme il y a plus de beaux esprits et de plus grands seigneurs qu’en Prusse, il me faudrait une bien grande table pour les réunir tous. » Et puis il compta sur ses doigts : Maupertuis, Fontenelle, La Motte, Voltaire, Piron, Destouches, Montesquieu, le cardinal de Polignac. «  Votre Majesté oublie, lui dit-on, D’Alembert et Clairault. — Et Crébillon, dit-il, et la Chaussée.