Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/13

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Ce même M. de Lafosse racontait aussi qu’un chef de brigade des gardes-du-corps, chargé de placer à la petite salle de comédie dans le palais de Versailles, fit sortir avec humeur un contrôleur du roi, qui était venu prendre sur une banquette la place que lui assignait la charge dont il était nouvellement pourvu. Ses protestations sur son état, sur son droit, tout fut inutile. Le démêlé s’était terminé par ces mots du chef de brigade : « Messieurs les gardes-du-corps, faites votre devoir. » Dans ce cas, le devoir était de prendre la personne et de la mettre à la porte. Ce contrôleur, qui avait payé sa charge soixante ou quatre-vingt mille francs,

    — Crébillon le fils, dit quelqu’un ; il doit être plus aimable que son père, et il y a encore l’abbé Prevôt et l’abbé d’Olivet. — Hé bien ! dit le roi, tout cela, depuis vingt-cinq ans, aurait dîné ou soupé avec moi. »

    Il y a quelque chose de vrai dans ces réflexions, et le trait d’humeur contre la Prusse est assez piquant ; mais que le fond de la pensée, le dédain du prince et son orgueil révolté, se font bien voir dans ces mots : « Tout cela depuis vingt-cinq ans aurait dîné ou soupé chez moi ! » Qu’est-ce donc pour des hommes comme Voltaire, qu’un titre de gentilhomme, que des pensions et des croix, s’ils ne trouvent point dans le prince cette politesse qui les attire et cette affabilité qui les honore ? Les lettres devaient trouver un jour un plus noble protecteur dans un des descendans de Louis XIV.

    (Note de l’édit.)