Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/228

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ce début mit toute la société en relation : chacun dit son mot, chacun fit sa réflexion ; et lorsqu’on annonça le déjeuner, on avait déjà franchi ce premier moment de sérieux qui a toujours lieu dans une grande assemblée. Le déjeuner fut gai : on but à la santé de ton père et de son jeune libérateur. J’étais placée entre le colonel et Mathilde Buret ; on parla de Valence, des bals, des cercles ; quelques plaisanteries du colonel, sur les ridicules de plusieurs dames, me firent parler bas à Mathilde et rire assez haut : mon oncle me regarda ; je rougis et me tus. Il faisait trop chaud pour se promener, on rentra dans le salon ; la jeune société resta dans la pièce voisine, et nous nous emparâmes, mesdemoiselles Buret et moi, d’un jeu de quilles de la Chine qui fait assez de bruit ; le colonel et les deux aides-de-camp se réunirent à nous ; on se disputait les meilleures quilles, on riait de tout et souvent pour rien. Pendant ce temps-là, madame de ....., femme du préfet, s’était mise au piano du salon ; elle chantait quelques romances que lui indiquait M. de Mirbot. Je proposai de quitter notre jeu pour aller l’entendre : mais le colonel fit observer que cette dame, étant peu jolie, gagnerait beaucoup à être entendue de loin. Nous trouvâmes qu’il avait raison, et, sans quitter notre jeu, nous l’écoutâmes en faisant un tapage impardonnable. Ma mère vint nous chercher et nous fit rentrer dans le salon. Nous cédâmes, mais de fort mauvaise grâce, et nous nous plaçâmes toutes trois le plus loin du piano qu’il nous fut possible.