Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/358

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droit de l’Assemblée constituante, qui se contente d’être constitutionnel, sans être jacobin.

» Cet état de choses subsiste tant que les jacobins sont constitutionnels et royalistes ; mais, bientôt, le roi, prisonnier dans ses propres États, privé seul de la liberté dont jouit à l’excès le reste de la France, cherche à briser ses chaînes. Il s’enfuit à Varennes ; on lui en fait un crime. Les jacobins cessent de feindre et se prononcent hautement pour une république démocratique. Ils placardent tous les murs de Paris de leurs vociférations contre les monarchies, les rois et les tyrans. Ils veulent que le roi soit jugé, déposé. Ils se rassemblent au Champ-de-Mars pour exprimer leur vœu, et reçoivent la mort, au pied de l’autel de la patrie, des mains de la garde nationale docile aux ordres de son maire et de son commandant.

» Cette expédition sanglante est le signal d’une division entre les jacobins. Le plus grand nombre se déclare pour la constitution et pour le roi, et se retire aux Feuillans pour y tenir ses séances, d’où il emprunte son nouveau nom de feuillant. Le peuple suit ses chefs, il est feuillant. La Fayette et Bailly sont les idoles du moment : le schisme sert la cour. La constitution est de nouveau revue, examinée, soustraite à l’influence des jacobins, la révision donne à l’autorité du roi une grande extension. Si le schisme a laissé apercevoir les partisans de la république démocratique, il a dévoilé de même les partisans du pouvoir arbitraire, et comme les Feuillans se trouvent placés entre ces deux extrêmes, également anticonstitutionnels, ils en reçoivent le nom de modérés.

» La cour déteste également et modérés et jacobins, et peut-être voit-elle des ennemis plus dangereux dans le parti de la modération qui peut affermir le système, que dans celui des excès bien plus propre à le ruiner. Marat paraît gagné par elle ; il insulte à La Fayette qui maintient l’ordre dans Paris. Il ne prêche qu’insurrection et massacre, et par-là semble bien moins l’ami du peuple (titre de son journal à deux sous), que le pensionné de la cour et des puissances étrangères.