Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/359

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» Les jacobins ont pris le dessus. Le peuple des sections de Paris est revenu à eux. La minorité de la noblesse, qui, à la tête des constitutionnels, dominait la première assemblée, devenant chaque jour un peu plus nulle, s’aperçoit, mais trop tard, de ses fautes et de ses imprudences. Elle cherche à revenir en arrière, se ligue avec la cour qu’elle a persécutée, et n’est plus dans la seconde assemblée, dite législative, qu’une faction qui lui est dévouée. Les jacobins s’y sont introduits en grand nombre ; ils y combattent sous les drapeaux de Brissot, Condorcet, Gensonné et Vergniaud. Les constitutionnels ont pour chefs, Vaublanc, Ramond, Dumas. Ils avaient naguère fondé de grandes espérances sur la constitution ; ils la conservent encore, mais dans un sens tout opposé. Leur espoir aujourd’hui est de la détruire par elle-même ; et pour cet effet ils se pressent autour de la constitution. Ils en demandent à grands cris la littérale exécution : c’est que les pouvoirs qu’elle a remis aux mains du roi, sont tels qu’ils l’ont placé au-dessus et l’en rendent le maître. Tous les partis sont donc d’accord en ce point, qu’aucun ne veut la constitution ; mais les constitutionnels en invoquent le maintien pour la faire tourner au profit du roi, et les jacobins en veulent la dissolution pour se défaire du monarque.

» La cour, dont le jeu est de fomenter la division et de se défaire de ses ennemis les uns par les autres, sourit aux jacobins, les élève et les place à la tête des affaires qu’elle aura soin de faire aller fort mal ; elle en compose le ministère : le peuple toujours dupe en attend des merveilles. La machine politique ne roule pas mieux sous la main de ces nouveaux ministres que sous celui de leurs devanciers ; ils sont congédiés. La foule des mécontens, la disette, le fanatisme, secondent les projets de la cour. Le discrédit des assignats, les troubles intérieurs, la confusion universelle, les revers de l’armée fuyant devant les Autrichiens (avril 1792), tout lui annonce des succès. La crise se prépare, et le moment approche de décider si la France sera gouvernée par un roi absolu ou par des démagogues.