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Page:Canora - Poèmes, 1905.djvu/222

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poème aux travailleurs du livre

 
Pour prix de leur effort, ont-ils au cœur des villes
Le pain blanc, le vin clair ? Ont-ils le simple asile
Ou l’épouse et l’enfant, dans le calme du soir
Au seuil, en souriant, viennent les recevoir ?
Et l’on m’a dit : « Hélas ! il est parmi nos frères
« Des vaillants, des héros obscurs, dont le salaire
« Fut le frisson du froid, l’angoisse de la faim
« Et pour les êtres chers l’horreur du lendemain ! »
Oui j’en ai vu parfois lutter, tremblants de fièvre,
Cramponnés aux casiers noircis, serrant les lèvres
Ainsi que des étaux, par crainte de gémir…
Leurs yeux troubles, ardents, cherchaient à voir s’unir
Les caractères fins dans leurs mains machinales,
Et la froide sueur perlait à leur front pâle…
Au soir, ils se traînaient ainsi que des blessés,
Serrant un peu d’argent, entre leurs doigts lassés,
Jusqu’à la chambre étroite et tragique, où la mère
Apaisait les petits hurlant à la misère !
Et là plus d’un, sentant son âme défaillir,
Rampant jusqu’à sa couche y tomba… pour mourir.
La mort était cruelle et lente. Des semaines,
Des mois, il étouffait, il parvenait à peine
À soulever encore ses membres engourdis.
Le pauvre nid d’amour n’était plus qu’un taudis
Sur lequel, tournoyant comme un oiseau funèbre,
La misère au vol noir planait dans les ténèbres.
La femme n’osait plus regarder le mari,