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Page:Captivité de Louis Garneray - neuf années en Angleterre ; Mes pontons, 1851.djvu/3

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I

Incarcération – Impressions – Description des pontons – Égalité – Vivres – Travaux – Tribunal – Industries – Bertaud – Les rafalés


Après une traversée de dix semaines, le Ramillies entra dans la rade de Portsmouth. Le lendemain même, le 15 mai 1806, je fus transféré, avec une partie de mes compagnons d’infortune, sur le ponton le Protée.

Un ponton, personne ne l’ignore, est un vieux vaisseau démâté, à deux ou trois ponts, qui, retenu par des amarres, présente presque l’immobilité d’un édifice de pierre.

Je ressens encore l’impression pénible que me causa la première vue du Protée : ancré à la file de huit autres prisons flottantes, à l’entrée de la rivière de Portchester, sa masse noire et informe ressemblait assez, de loin, à un immense sarcophage.

Je regardais, avec le désespoir au cœur, pendant que le Transport-Office nous conduisait à son bord, ce sombre tombeau dans lequel, enterré vivant, je devais voir s’écouler ma jeunesse ; mon imagination soulevait les épaisses murailles de bois, me montrait les visages flétris et désolés des infortunés qu’il renfermait dans son sein ; mais, hélas ! mon imagination était bien loin encore, comme je pus m’en convaincre quelques minutes plus tard, d’atteindre à la hauteur de la réalité.

Quelle affreuse impression je ressentis lorsque conduit, entre une haie de soldats sur le pont, je me trouvai brutalement jeté au milieu de la misérable et hideuse population du Protée !

Aucune description, quelle qu’en soit l’énergie, aucune plume, quelle que soit sa puissance, ne sauraient rendre le spectacle qui s’offrit tout à coup à mes regards.

Que l’on se figure une génération de morts sortant un moment de leurs tombes, les yeux caves, le teint hâve et terreux, le dos voûté,