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Page:Captivité de Louis Garneray - neuf années en Angleterre ; Mes pontons, 1851.djvu/60

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membre du parlement, par exemple ; ou bien encore quelque officier général français ?

— Ma foi non !… Attendez donc ! oui, je connais le colonel Lejeune.

— Eh bien ! peut-être ce colonel possède-t-il, lui, quelques bonnes relations dans la haute société anglaise ! Oui, c’est cela. Écrivez-lui, sans plus tarder, qu’il demande que vous soyez transféré dans le cautionnement qu’il habite !

— Mais le colonel ne se rappellera peut-être plus mon nom.

— Qu’importe, vous ne risquez rien à écrire…

— Comme vous voudrez ! À présent, en supposant, ce qui n’est pas probable, que cette démarche réussisse, qu’en résultera-t-il ?

— Belle question ! Qu’une fois à terre vous n’aurez plus rien à craindre de la part du capitaine de la Vengeance, et que vous pourrez travailler pour moi !

— Ma foi, cela est si simple que je n’y avais pas pensé.

Une demi-heure après cette conversation, M. Smith partait avec ma lettre pour le colonel Lejeune, et m’assurait que de son côté il allait mettre tous ses amis en campagne pour travailler à ma délivrance.

Huit jours se passèrent sans amener aucun résultat dans ma position, et je ne songeais déjà presque plus à mon ambitieuse demande, lorsqu’un matin m’arriva une lettre du colonel Lejeune qui me disait que déjà à plusieurs reprises il avait, sans m’en avertir pour ne point me causer de folles espérances, fait des démarches en ma faveur, sans avoir jamais rien pu obtenir, mais que cette fois il espérait réussir.

— J’ai de bonnes nouvelles à vous apprendre, me dit M. Smith, qui profitant d’un moment où le capitaine était descendu à terre vint me voir dans la journée. J’ai mis toutes mes connaissances en campagne, comme je vous l’avais promis, et j’espère plus que jamais.

En effet, quinze jours plus tard le capitaine me fit appeler et m’annonça que le Transport-Board me désignait pour être dirigé sur le cautionnement de Bishop-Watham ! Que le lecteur se figure aussi grande qu’il voudra la joie que me causa cette nouvelle, il n’atteindra jamais jusqu’à la vérité : quant à moi je renonce à la décrire ; cela tenait de la folie !

Comment, il m’allait être permis de respirer l’air des champs, de me reposer sous l’ombre des arbres, de vivre de la vie de tout le monde ! Non ! cela était impossible ! Je ne pouvais croire à un tel bonheur.

Ah ! si j’avais su alors ce que c’était qu’un cautionnement, ma joie eût été moins vive. Bien souvent j’en avais entendu parler par des officiers qui en venaient ; mais je n’avais pas prêté une grande attention à leurs récits, par l’excellente raison que mon grade inférieur me clouant à bord des pontons, il m’importait peu de savoir au juste ce que c’était qu’un cautionnement. Après tout, je dois avouer que comparés aux pontons les cautionnements offraient un séjour fort supportable.

Lorsque j’arrivai sous escorte au petit village qui m’était assigné comme lieu de résidence, village où se trouvait le colonel Lejeune, je vis avec une certaine désillusion que plus de douze cents Français de tous grades n’avaient pour toutes habitations que quelques misérables maisons délabrées, que les Anglais leur cédaient à un prix tellement exorbitant qu’une année de loyer équivalait au moins au prix de la maison elle-même.

Quant à moi, Après avoir été remercier le colonel Lejeune qui me reçut avec une affabilité pleine de franchise, je parvins à me procurer, à raison de dix shillings par semaine, non pas une chambre, mais le droit de mettre mon lit dans une espèce de taudis où déjà couchaient cinq officiers. N’importe, j’étais à terre !

Le lendemain de mon arrivée au cautionnement, j’étais dès cinq heures du matin levé, habillé et prêt à sortir : j’avais hâte d’user de ma liberté.

— Où allez-vous donc ainsi ? me demanda un de mes compagnons de chambre.

— Je vais respirer l’air du matin et courir un peu les champs, lui répondis-je.

— Gardez-vous-en bien, vous seriez arrêté.

— Arrêté ! et pourquoi donc cela ?

— Parce que nous n’avons le droit de mettre les pieds hors de chez nous qu’à six heures du matin seulement.

— Mais cela est impossible. Il doit y avoir égalité de traitement entre les prisonniers des deux nations, et les Anglais détenus en France sur parole ont le droit de sortir quand bon leur semble de leur domicile, de découcher même si cela leur plaît, pourvu toutefois qu’ils ne franchissent pas les limites qui leur sont tracées.

— C’est vrai : les Anglais prisonniers en France peuvent parcourir un rayon de six milles, et s’ils désirent même agrandir cet espace, une simple demande adressée sans formalité au commandant de la place ou au chef de la gendarmerie leur permet d’accomplir ce souhait ! En France, ils peuvent assister à toutes les réunions soit privées, soit publiques, aux spectacles, aux concerts, aux bals ; mais en Angleterre, l’on traite autrement les Français.

« Il ne nous est permis de sortir qu’à partir de six heures du matin et nous devons être rentrés avant le coucher du soleil. Nous ne jouissons que d’un mille de liberté en dehors de notre cautionnement, et encore ne nous est-il permis de parcourir cet espace restreint que sur la grande route, sans pouvoir entrer dans aucun champ ni chemin de traverse.

« Le Transport-Board, pour mieux assurer l’exécution de ces règlements sévères, permet à tout habitant qui trouve un Français en contravention de lui courir sus, comme si c’était une bête féroce, de s’en emparer ou de le terrasser, et il paye une prime d’une livre