Page:Capus – Qui perd gagne.djvu/290

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Emma s’éloigna lentement. Sur le boulevard Diderot, elle héla un fiacre :

— 60, rue de Monceau !

Letourneur habitait là, tout seul, un hôtel assez vaste. Il avait quitté, après sa séparation, une magnifique demeure aux Champs-Élysées dont le luxe restait environné de légendes. Pendant les deux années où il ne s’aperçut pas que sa femme le trompait, l’hôtel ne cessa de flamboyer dans des fêtes continuelles, que Mme Letourneur dominait de sa beauté célèbre. Puis vint le scandale du flagrant délit, dans un cabinet particulier de restaurant, sur le boulevard, à huit heures du soir : on ne se rappelait plus guère les détails de l’histoire, qui datait de dix ans. Mme Letourneur s’était mise à courir l’Europe, et récemment le divorce avait terminé cette aventure. La fortune de Letourneur était de celles dont l’imagination ne prévoit pas la chute. Le banquier dépensait pour son plaisir autant qu’il pouvait, aimant surtout les femmes, et toutes les horizontales de Paris douées de quelque éclat avaient touché à sa caisse.

Depuis dix ans, son intervention dans la galanterie parisienne était bienfaisante. Il avait lancé des débutantes qui pataugeaient, consolidé des anciennes qui s’écroulaient. Il ne se faisait aucune illusion, ayant épuisé la jalousie avec sa femme légitime et, maintenant, celles même à qui il donnait le plus d’argent ne le trouvaient pas ridicule.

Il ne fréquentait guère le monde, avait la famille en horreur, ne se plaisait que dans ce milieu de collages vagues, de boulevardiers, de noceurs et de filles où Moussac était une personnalité. Il fut étonné d’y rencontrer une femme comme Emma et, peu à peu, sans