Page:Capus – Qui perd gagne.djvu/96

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naires, des femmes qui n’avaient l’air de rien du tout, douces, timides en présence du monde et qui devenaient enragées dans l’intimité… »

Il marcha dans le bal, la suivant de loin des yeux. Farjolle, en ce moment-ci, lui présentait Letourneur, le banquier. Letourneur s’inclinait d’un air galant. Velard fut froissé. « Quelle idée il a de présenter sa femme à Letourneur, cet idiot-là ? La gloriole ! Quel serin, ce Farjolle ! » Il avait poussé son rêve jusqu’à faire des projets pour le cas où elle deviendrait sa maîtresse. Mentalement, il disposait son entresol de la rue Clément-Marot pour la recevoir. Tout à fait commode, le quartier des Champs-Élysées…

— Suis-je naïf ! Elle ne sera probablement jamais ma maîtresse…

Un domestique qui portait un plateau le heurta, et aussitôt ses réflexions s’arrêtèrent. Néanmoins il avait réfléchi dix minutes consécutivement ; son cerveau était comme brouillé, et pour la première fois de sa vie il se surprenait en flagrant délit de rêve. Il ne se souvenait pas de s’être abandonné si longtemps à d’aussi vagues songeries. Seul, quand il marchait par les rues, le nez guettant et flairant, il combinait parfois, mais il ne rêvait jamais.

Il se rappela pourtant qu’il y a quelques années, lorsqu’il fut refusé à son baccalauréat, il avait éprouvé une sensation analogue de lassitude et de découragement. Le soir de son examen, il s’était grisé et, en vingt-quatre heures, malgré le désespoir de sa famille, il renonçait aux carrières libérales pour se consacrer à la publicité. Drôle de chose de penser à tout ça dans un bal chez Moussac !