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Détour

à Claudien

À quatre heures, le jour sombre que reflétaient les glaces s’éteignait. On allumait le gaz et les filles coiffées et maquillées attendaient l’homme aux verres.

Il arrivait toujours sur la tombée de la nuit, dans sa houppelande et chaussé de feutre. Il s’asseyait. On ne le servait pas. Les filles le regardaient avec une extrême répulsion. Il fallait les forcer à s’offrir. Alors elles se mettaient en cercle autour de lui ; lentement, elles ouvraient leurs peignoirs. Il choisissait. Ensuite chacune se retirait et le silence de la rue déserte envahissait le bar.

Ce bar m’attira. J’en aimais la façade ravagée, l’oblong vitrage dépoli, la lanterne bleue et, dominant, les hautes persiennes éternellement closes, les persiennes vertes et mortes…

Dans ce quartier, proche de la Seine, les sirènes sifflaient et criaient sous un ciel de brumes pluvieuses et c’était, le soir venu, par un dédale de ruelles étranglées, des lumières basses éclairant de sordides intérieurs. Quelques passants

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