Page:Carco - Au vent crispé du matin.djvu/52

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pâtures vivaces, les terreaux féconds ou les basses tuilées des fermes. Le bourg envahit la combe de sa lèpre multicolore et mouvementée : maisons dorées, éboulis de toitures capricieuses, éclats d’azur aux vitres miroitantes, humble et grouillant effort des choses quotidiennes que ce printemps tourmente, tout cela comble la profondeur des inclinaisons souples où sinue le fleuve, tout cela s’éparpille et grimpe à l’assaut des collines luisantes comme des croupes animales.

Des brises passent. À fortes humées la fille agrée l’offrande. Ne lui doit-on pas l’odeur fière de cette matinée ? Les narines plissées, elle quête la fraîcheur des berges fleuries de jonquilles et de lys d’eau : elle rumine la vireuse douceur des plates-bandes retournées à la bêche ou des guérets entamés jusqu’au tuf. La haie d’un enclos voisin est assaillie par un flot vif de roses. Le vent secoue cette orgueilleuse draperie.

Lilas sensuels sous la vague qui les courbe, sureaux amers crépitant du vol des cétoines, feuillées ivres d’une ardeur de sève, les odeurs mélées arrivent. Des souffles inclinent les orties gracieuses et les dernières tiges des lianes.

Oh ! ne sera-t-elle pas conquise jusqu’au plus intime de sa chair ! n’aura-t-elle pas ce cri definitif d’amoureuse ! Faunesse aux senteurs fortes, ne bondira-t-elle pas, crevant soudain la jupe dérisoire, nue comme les premières et chaudes compagnes du bouc ?

… Devant le paysage frémissant, la fille fixe l’azur altier et se fait saigner les gencives avec une paille.

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