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Page:Carco - L'Homme traqué, 1922.djvu/233

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en déduisit qu’il devait encore supporter mille maux avant de rencontrer Léontine. L’idée qu’elle n’était qu’une fille publique s’accentua. Lampieur ne s’y déroba point. Il développa cette idée, au contraire, avec une sorte d’âpre détresse et de plaisir honteux. À ses yeux, nulle honte n’était assez complète. Est-ce que ces gens n’en avaient pas conscience ? Lampieur les considérait longuement. Il les comptait. C’était des travailleurs des Halles à qui, certainement, comme les autres, Léontine s’était offerte.

L’image de cette fille mêlée à tous ces hommes humiliait Lampieur ; elle le déchirait, et il tenait précisément à ce qu’elle l’humiliât et le déchirât davantage. De cette façon, quand il retrouverait la malheureuse, Lampieur jugeait qu’il en aurait payé, au prix, le droit de partir avec elle et de mener une nouvelle existence… Le dégoût, l’abjection, la honte, il devait les connaître… Sa lâcheté les lui rendait indispensables et, petit à petit, il s’en accommodait, comme d’une nécessité étrange de vie ou de mort à laquelle on n’échappe pas.


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* *

Toute la nuit, s’appliquant à déchoir et finissant par y puiser une sombre satisfaction, Lampieur traîna dans les débits des Halles et s’enivra grossièrement. L’idée qu’il rencontrerait Léontine, après avoir subi pour elle les plus cruelles épreuves, l’illuminait et prenait peu à peu, sur son esprit, la force d’une certitude. Lampieur était donc sûr de revoir Léontine. Et cette idée, qu’il devait à l’ivresse, lui semblait naturelle et elle le soutenait.

Mais quelles épreuves avait-il donc encore à supporter avant de rencontrer