Page:Carco - L'Homme traqué, 1922.djvu/43

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donnait à sa vision un champ plus étendu. Mais Léontine n’était pas là et Lampieur finissait par en ressentir une irritation dont la violence grandissait à mesure que le temps s’écoulait sans lui apporter autre chose que des bruits vagues et éloignés ou, quelquefois, le sifflement baroque de la petite locomotive qui amenait, par le boulevard Saint-Michel, des wagons jusqu’aux Halles. Peut-être Léontine s’était-elle égarée dans un bar ? Peut-être admirait-elle, sous les lumières géantes, les hautes voitures et les camions qui déversaient contre les pavillons des monceaux de légumes. Lampieur l’imaginait, toute frêle, parmi le mouvement d’une foule affairée et regardant, sans voir, les gens s’agiter autour d’elle et se livrer à leurs occupations… À quoi pouvait-elle bien s’intéresser qui n’était pas lui ? Il ne comprenait pas. À son irritation, s’ajoutait comme une espèce de jalousie… Une jalousie amère et tâtonnante, sournoise, désabusée, pleine de détresse et d’ambiguïté, d’ardeur sourde… Lampieur n’en était pas dupe ; depuis qu’il avait vu Léontine et qu’il était certain que