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paru, et à leur place nous trouvons partout le travailleur qui loue ses bras. Si nous jetons les regards sur les districts manufacturiers, nous les voyons, dans toute leur étendue, dit un écrivain moderne, « présentant le spectacle particulier d’une classe peu nombreuse et très-riche se tenant à part sur le faîte, et dominant de bien haut le niveau occupé par le reste de la population. La relation qui existe entre ces deux classes est formée uniquement par ces liens rigoureux et pécuniaires qui n’ont jamais eu le temps jusqu’à ce jour de se revêtir du mélange doux et chaleureux d’une association morale, affectueuse. L’œuvre à laquelle se livrent les deux parties intéressées, continue-t-il, est essentiellement une œuvre de coopération ; mais leur attitude, morale réciproque est plutôt celle d’ennemis que d’amis[1]. »

L’abîme qui sépare les classes supérieures et les classes inférieures de la société s’élargit chaque jour, les fortunes immenses acquises par les banquiers et les trafiquants qui prospèrent, étant en raison directe de la pauvreté de la classe agricole, si bien décrite par M. Cobden. Les accumulations du passé acquièrent de jour en jour un empire plus grand sur le travail du présent. Et il continuera d’en être toujours ainsi, tant qu’on soutiendra que le bien-être du pays exige « une somme de travail à bon marché et abondante[2]. » C’est la doctrine de l’esclavage de l’homme telle

  1. Lalor, l’Argent et les mœurs.
  2. « Une grève considérable de mineurs vient de se terminer en Écosse, les individus ayant cédé après d’horribles souffrances et retournant à leurs travaux la rage dans le cœur. Belles relations humaines, belles relations entre l’homme et son semblable ! Une défiance réciproque, telle est l’attitude ordinaire du chef d’industrie et de l’ouvrier dans ces routes que nous parcourons, particulièrement en Écosse, où le sentiment de l’indépendance personnelle est plus prononcé et plus vif qu’il ne l’est ici. La haute prospérité des grands manufacturiers écossais est l’un des traits les plus caractéristiques de notre époque. Les maitres de forges achètent des terres en tout lieu, depuis le Tweed jusqu’aux Orcades, rasant ces vieilles maisons charmantes qui ont produit tant d’hommes éminents, — oui, et qui les ont aussi envoyés en Amérique, — comme votre James Buchanan est là pour l’attester et comme l’atteste aussi le juge Haliburton au Canada. Une famille de maitres de forges, celle des Baird, a acheté le Closeburn des Kirkpatrick, le Stitchell des Pringle, et autres résidences célèbres. C’est l’âge de fer dans toute l’acception du mot. Mais comment se fait-il que l’ouvrier qui produit toute cette grandeur vive si mal ? Ce peut être une très-belle chose de voir un M. Mac Buggins dépasser en richesse un Graham ou un Lindsay, être le flatteur servile d’un Buccleuch et jurer un peu, en pur Écossais, en présence des dames dans un salon. Mais que devient le pauvre M, B…, le visage tout barbouillé, triste, couvert de sueur, avec sa