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§ 4. — Politique belliqueuse de Louis XIV, d’où suit la nécessité d’abandonner le système de Colbert. Expulsion des Huguenots et anéantissement de l’industrie. Il en résulte improductivité de l’agriculture et misère du peuple.

Toutefois, répétant dans son système, l’erreur commise par les anciens parlements de l’Angleterre, Colbert prohiba l’exportation des produits bruts du sol. À l’exemple de ces parlements, il chercha à venir en aide aux intérêts agricoles, en plaçant l’artisan dans le voisinage du fermier et affranchissant ainsi la terre de la taxe onéreuse du transport ; mais aux mesures adoptées dans ce but, il en ajouta d’autres qui interdisaient au fermier d’aller chercher, avec ses produits, l’artisan éloigné. Par l’une de ces mesures, il préparait la disparition graduelle des obstacles placés entre le producteur et le consommateur ; mais, lorsque par l’autre, il empêchait la libre exportation de l’excédant des grains, il augmentait ainsi à la fois, et dans une proportion considérable, les obstacles existants, il entravait la circulation des subsistances, et réduisait le fermier à la condition de dépendance vis-à-vis du manufacturier. Le temps, et plus tard l’expérience, auraient corrigé cette erreur si la paix se fût maintenue ; mais c’est ce qui n’eut pas lieu malheureusement. À peine ce système donnait-il ses premiers résultats, que le maître de Colbert commença contre les Protestants ce mouvement, qui ne se termina que douze ou quinze ans après (en 1685), par la révocation de l’édit de Nantes. Pendant toute cette période, deux millions de Français, qui comptaient parmi les plus intelligents, les plus instruits et les plus essentiellement industrieux de la population du royaume, furent en butte aux persécutions de la nature la plus révoltante, persécutions qui eurent pour résultat la mort d’au moins 500.000 individus, en même temps qu’à la fin, un nombre à peu près égal abandonna le sol de la patrie, emportant avec eux, en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, les débris de leurs biens qui avaient échappé à la ruine générale, ainsi que les secrets de leur habileté dans les diverses branches d’industrie, leur intelligence, et les excellentes habitudes par lesquelles ils s’étaient si fort distingués dans leur pays. Ce fut la répétition, bien qu’à un moindre degré, de la politique suivie par Ferdinand et Isabelle, lorsqu’ils chassèrent les Maures de l’Espagne ; et elle fut accompagnée exactement du même résultat, la ruine de l’agriculture. Si nous ajoutons à cela que Louis XIV eut presque constamment des guerres à soutenir avec les États les plus puissants de l’Europe, guerres qui exigeaient d’énormes sacrifices, et qui se terminèrent invariablement par des traités[1] dont les dispositions

  1. Les traités de Nimègue en 1679, de Riswick en 1697 et d’Utrechten 1713 ;