Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 3.djvu/36

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Considérons les États-Unis : la déperdition de la force-travail s’y montre plus grande qu’en aucun autre pays civilisé. La somme employée n’est pas même un tiers de la capacité d’effort produite. La consommation ne suivant que lentement la production, les marchés du monde entier sont toujours inondés de farine, de coton, de riz, de tabac ; d’où il suit que le pouvoir qu’ont ces utilités de commander l’or, l’argent, le plomb, le fer, le cuivre, l’étain, ou toute autre des productions métalliques de la terre diminue constamment — tandis que, dans l’ordre naturel des choses, il devrait constamment s’accroître.

Voulons-nous voir la déperdition la plus complète de force, considérons les années qui closent la période de libre échange qui suivit la cessation de la grande guerre européenne, alors que les ateliers se fermèrent partout, que les femmes et les enfants.périssaient faute de pain ; — considérons la périorale de libre commerce en 1842, alors que la demande de travail cessa complètement ; — considérons les années 1850-51, avant l’énorme importation de l’or californien, ou enfin la période actuelle, où la circulation est graduellement et constamment décroissante, où la production de nourriture et de vêtement va diminuant dans son rapport avec le chiffre de la population, et où le paupérisme suit une marche ascendante qu’on ne lui avait point encore connue.

Voilà ce qui est, et il en sera de même partout. Voyons l’Espagne ; nous y trouvons, en changeant de localité, les mêmes différences qu’aux États-Unis en changeant d’époque. Dans les provinces Bas-

    deux extrêmes, la paresse qui refuse de travailler et la famélique inaptitude à trouver du travail, quel monde en avons-nous fait avec notre culte effréné de Mammon, notre bienveillante philanthropie et nos bavardages absurdes et athées ? L’offre et la demande — laisser faire, principe de volonté, le temps arrangera tout — jusqu’à ce que l’existence industrielle de l’Angleterre semble tout près de devenir un affreux marécage exhalant des miasmes pestilentiels au moral et au physique, un hideux Golgotha vivant oh les âmes et les corps sont enterrés tout vifs ; une sorte de gouffre de Curtius qui communique avec les profondeurs du néant et comme le soleil n’en avait jamais vu… Trente mille ouvrières à l’aiguille, de vraies parias, travaillant à mort, trois millions de pauvres pourrissant dans une oisiveté forcée et aidant lesdites ouvrières à l’aiguille à mourir : ce ne sont là que des item dans le triste grand-livre du désespoir. Trente mille mauvaises femmes sont plongées dans ce gouffre putréfiant d’abominations. Elles sont une illustration que dans Londres de l’universel marais de ce Styx de la vie industrielle anglaise ; elles se sont accumulées en un nombre tel dans ce gouffre du chagrin (Carlyle, Latter-Day Pamphlet).