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qu’en pratique, il niait la nécessité de subordination de la part du maître lui-même. Ici nous avons une nouvelle dissolution de la société en ses éléments, avec une disparition ultérieure et plus complète des différences parmi les différentes parties. — Esclaves et nobles abondent, la force physique est la loi sous laquelle tout doit se courber[1]. La suite de l’histoire de France, nous l’avons déjà vu, nous montre un perpétuel effort pour établir la subordination avec des insuccès répétés, par la raison qu’on oubliait de s’attacher an développement d’une diversité d’emplois qui pût engendrer la demande pour les qualités dont la possession distingue l’homme véritable de la brute[2].

§ 3. — La subordination devient plus complète à mesure qu’augmente la concurrence pour l’achat du travail, — le travailleur gagnant alors en liberté. L’insubordination croissante suit l’accroissement de concurrence pour la vente du travail, — et le travailleur est de plus en plus asservi. Le premier cas est celui des pays qui se guident sur les principes de Colbert. L’autre est celui des pays qui adoptent les doctrines de l’école anglaise. Phénomènes que présentent l’Angleterre et les États-Unis.

Dans les autres parties de l’Europe, nous rencontrons l’insubordination en raison de l’absence de ces différences sans lesquelles la société ne peut acquérir sa forme naturelle, nul homme devenir libre, — par exemple en Angleterre à l’époque des Plantagenets, — en Écosse sous les Stuarts, — au Danemark, dans la période antérieure à Frédéric III, — et en Pologne jusqu’au jour du partage.

L’histoire de tous les pays nous apprend que, dans tout cas de civilisation progressive, à mesure que les facultés latentes de l’homme se sont développées, — que le pouvoir d’association s’est renforcé, — que l’homme est devenu davantage maître de la nature et de lui-même, — que la société a tendu à prendre sa forme naturelle, — que la concurrence pour l’octroi du travail a augmenté, — la subordination est devenue plus complète, et en même temps tous ont monté dans l’échelle de l’être, et le travailleur a gagné en liberté. Si nous examinons le mouvement des sociétés en déclin, nous trouvons l’inverse, — l’uniformité se substitue à la différence, — l’anarchie et l’insubordination prennent la place de l’ordre, — et le travailleur retombe dans l’asservissement. Nous voyons autour de nous que les hommes ont gagné en liberté dans tous les pays qui ont suivi la trace de Colbert ; — ainsi la terre s’est divisée, et le travailleur est devenu plus maître de la nature et de lui-même en France et dans tous les pays du centre et du nord de l’Europe,

  1. L’insurrection de la Jacquerie, en 1351, et les horreurs qui l’accompagnèrent était une conséquence nécessaire de ce que, chez les nobles de France, toute subordination avait disparu pendant les guerres avec l’Angleterre. Voy. Sismondi, Hist. de France, vol. X, p. 530.
  2. Voy. précéd., vol. I, p. 280.