Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 3.djvu/478

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et s’est développée la tendance à ce respect pour les droits d’autrui, sans laquelle il ne peut exister de liberté réelle.

Notre regard, dirigé vers les pays qui suivent la trace ou reçoivent la direction de l’Angleterre, rencontre, en Irlande, une insubordination ayant pour conséquence une destruction de la vie, de la propriété, du bonheur, telle qu’on n’en avait vu nulle part ; à la Jamaïque, un état incessant de guerre entre l’esclave et son maître, qui aboutit à les ruiner tous les deux ; — en Turquie, disparition complète de l’organisation sociétaire ; — Mexique, une grande communauté qui marche vite à sa dissolution ; — dans l’Amérique espagnole, une série sans fin de guerres ayant pour objet de décider qui dirigera le mouvement sociétaire ; — dans l’Inde, une révolte avec une destruction incalculable de vie et de propriétés[1].

  1. M. Michelet, s’adressant aux Anglais dans l’Inde, dit : qu’il les voit partout sur la surface du globe, mais n’ayant pris racine nulle part. La raison, c’est que vous cueillez et sucez la substance de la terre, mais que vous ne plantez rien, — ni sympathie ni pensée. N’apportant avec vous aucune idée morale, vous n’avez fondé nulle part. Votre Inde, par exemple, un des plus beaux empires que le soleil ait contemplés, — qu’en avez-vous fait ? Il s’est flétri dans vos mains. Vous restez à l’extérieur de lui, vous êtes un corps parasite qui sera chassé demain. Vous avez trouvé ce merveilleux pays pourvu d’un commerce, d’une agriculture, que lui reste-t-il à exporter, excepté l’opium ? Nul anglais qui aille dans l’Inde pour s’y établir ; point de mariage avec les indigènes. Les Anglais partiront un jour ne laissant d’eux nulle trace, si ce n’est l’anéantissement du commerce et de l’industrie de l’Inde, et la ruine de son agriculture.
      À l’appui des considérations du Français distingué, voici un passage d’une lettre d’un fonctionnaire anglais dans l’Inde, publiée par un journal de Londres :
      « D’années en années nous avons agi comme si nous n’étions sous aucune responsabilité morale quelconque, — comme si l’Inde était une chose faite tout exprès pour notre simple avantage dans ce monde et pour rien autre, — comme si les indigènes étaient au niveau des bêtes sauvages des jungles, ou étaient des créatures sans défense, créées uniquement pour porter du bois et tirer de l’eau, pour être les esclaves de l’homme blanc, — comme si toute prétention de leur part à la portion d’héritage que Dieu leur a assignée était une insigne trahison, — comme si des opinions, des coutumes, des usages aussi anciens que ces montagnes et aussi chéris d’eux que la liberté le puisse être de l’Anglais, devaient être quittés et mis de 6ôté aussi aisément qu’on jette un vieux bonnet, du moment qu’ils ne cadraient pas avec les notions de John Bull ou faisaient obstacle à son égoïsme et à sa cupidité. Voilà exactement ce que nous avons fait depuis ces vingt dernières années. Nous avons tenté une foule de choses que les plus hardis, les plus téméraires de leurs souverains indigènes n’auraient jamais eu la folie de risquer, par exemple : cette maudite rage d’annexer ; les viles et misérables corruptions, précarisations, extorsions pratiquées dans nos tribunaux civils et par la police ; un système de tenure de la terre, inventé par nous, qui, bien que beau et spécieux en théorie, et dans un