Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 3.djvu/73

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par des philosophes qui regardent l’association et l’individualité comme des principes qui s’excluent l’un l’autre[1].

En principe cependant les hommes doués de la force musculaire s’étaient constitués propriétaires de grands espaces de terre, contraignant les faibles de corps ou d’intelligence à y dépenser leur travail et leur abandonnant en retour une portion du produit, tout juste ce qu’il fallait pour maintenir l’esclave en état de travailler. Dans cette condition barbare de la société la richesse est mobilière — elle se compte par têtes de bêtes de somme appelées hommes, femmes et enfants, comme c’est aujourd’hui le cas à la Caroline, au Brésil, à Cuba. La terre, tenue par vastes domaines, ne trouve pas à circuler et a peu de valeur. L’homme lui-même, étant une propriété, n’a pas le droit de circuler parmi ses semblables. D’abord la loi l’attache à la terre, il est adscriptus glebœ — cependant, plus tard, il lui est permis d’acheter et de vendre, excepté de la terre — pour ce faire il circule, seulement en vertu d’un permis spécial délivré par son maître ; par exemple, dans l’Angleterre sous les Normands, et de nos jours en Russie et à la Caroline.

La population et la richesse augmentant, la diversité de profession s’établissant, le pouvoir d’association s’accroît, et les diverses facultés de l’homme se développent davantage ; le serrurier, le charpentier, le cordonnier, le fabricant et le négociant viennent ensemble former le noyau de la ville future — et c’est alors que la terre se divise, soit pour être tenue en propriété absolue, soit sous la condition d’une rente annuelle servie au propriétaire, comme compensation pour son usage.

À mesure que s’accroît la ville, la terre se divise de plus en plus — à chaque maison qui se bâtit s’attache un droit à l’occupation exclusive du sol sur lequel elle repose. Avec la richesse et la puissance qui grandissent, la propriété et la personne acquièrent plus de sécurité, et il y a accroissement continue de la valeur de la terre

  1. M. de Tocqueville (l’Ancien régime, ch. 15) a montré que les erreurs du socialisme moderne ne sont qu’une reproduction de celles des écrivains français du dernier siècle. — Les doctrines de la propriété en commun, du droit au travail, de l’égalité absolue, de l’uniformité universelle, de la régularisation mécanique des actes individuels, des règlements despotiques sur toute chose, et l’absorption complète de l’individu dans le corps politique se trouvent exposés dans le Code de la nature de Morelli tout aussi bien qu’ils l’ont été depuis dans les écrits de Proudhon ou de Louis Blanc.