Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/108

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légitime de Jean VI, fut investi de la plénitude de l’autorité souveraine, dans les conditions où l’exerçaient les princes de la maison de Bragance depuis 1641, date de leur avènement à la couronne.

Cette décision provoqua dans la capitale des transports de joie suivis d’actes nombreux de violence. Le bas peuple satisfit sa haine contre les classes riches par des attentats non réprimés, et l’on vit un grand nombre de religieux souiller leur robe vénérée dans des scènes où le Paris démagogique n’a jamais rencontré que la carmagnole des jacobins. Je ne vis pas se jouer ce dernier acte d’un drame lamentable. J’étais parti pour Londres avant l’interruption des relations diplomatiques, conséquence obligée de la révolution accomplie, emportant d’avance la certitude morale d’un dénoûment suspendu par les seules hésitations d’un prince que son caractère condamnait à terminer sans éclat une carrière commencée sans loyauté.

Les scènes que j’avais eues sous les yeux dans les deux royaumes péninsulaires me laissèrent une impression de dégoût contre laquelle je n’essayai pas de réagir. L’avenir de ces contrées allait désormais se débattre entre des révolutionnaires furieux, inspirés par une haine sauvage contre le passé, et des réactionnaires aveugles s’efforçant de le faire renaître. Je quittai le Portugal pénétré de cette double pensée que l’histoire ne se recommence point, et que le plus sûr moyen pour protéger les vérités immuables, c’est de ne jamais les confondre ni avec des formes transitoires, ni avec des intérêts passagers.