Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/110

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où rien n’arrête ni la vue, ni la pensée ; le jour blafard, éclairant à travers un voile de vapeurs de grisâtres monceaux de briques, tout cet ensemble, vaste sans grandeur, provoque à la mélancolie, sentiment naturel d’ailleurs dans ces déserts habités où l’étranger qui les aborde se sent abîmé comme un atome. Pour moi, cependant, cette impression fut courte. Si accoutumés que fussent alors mes yeux aux horizons étincelants, j’éprouvai une vive satisfaction d’esprit à découvrir partout dans cette épaisse atmosphère les témoignages de la virile activité d’un peuple libre dont la pensée rayonnait sur l’univers.

Londres est l’expression même du génie anglais, persévérant et froid, moins soucieux d’éclat que de puissance. Mes journées s’y passaient à visiter ses docks, ses chantiers et les longues berges de son vaste fleuve encombrées de navires chargés pour tous les points de la terre. Le soir me ramenait toujours vers Westminster, magnifique symbole de ce passé, constamment vénéré par l’Angleterre, parce qu’il n’a jamais été pour elle un obstacle aux développements de son avenir. Après un repas, pris à l’anglaise dans une taverne, j’entrais le plus souvent, grâce au moyen d’introduction que m’avait ménagé l’ambassade, dans le Lobby de cette vieille salle des Communes, aujourd’hui remplacée par un monument à l’éclat duquel il ne manque rien que la majesté des souvenirs. C’était dans ce parallélogramme incommode que les deux Pitt avaient fait retentir les cris de leur patriotisme implacable ; c’était là que Fox avait déployé une élo-