Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/112

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je suivais dans les grandes nuits parlementaires les délibérations des lords. La Chambre Haute conservait tout entière, à cette époque, la prépondérance que lui a fait perdre l’application d’un nouveau système électoral auquel elle ne pouvait manquer d’opposer une longue résistance, puisque ce système a détruit à peu près son influence, même dans l’élection des comtés. J’avais devant moi la dernière aristocratie du monde, la seule qui, dans l’Europe moderne, ait rappelé le sénat romain par sa persévérance politique dégagée d’obstination. Elle eut d’ailleurs, comme lui, l’avantage de demeurer une corporation nobiliaire toujours ouverte, au sein de laquelle venaient se confondre avec les descendants des plus vieilles races les illustrations diverses produites par le mouvement ascensionnel imprimé à toutes les couches de la société. J’avais pu voir le matin, au British Museum, dans une vitrine qu’entouraient des spectateurs respectueux, l’original de la Magna charta, où les barons aux gantelets de fer avaient apposé d’informes signatures, et je trouvais le soir, sur les bancs de la pairie, leurs héritiers prêtant le lustre des gloires antiques à de nombreux anoblis de date récente confondus avec eux dans la plus parfaite égalité.

Au milieu des pairs des trois royaumes, généraux, marins, diplomates, vieux magistrats, une figure originale était comme revêtue d’une sorte d’auréole par la reconnaissance publique. Le duc de fer, the Iron Duke, assis au banc ministériel, n’était ni attrayant, éloquent : il avait les mouvements saccadés d’un