Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/116

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interminable repas, je dus boire tour à tour, à M. O’Connell tout d’abord, puis à M. Shiel, à M. O’Gorman Mahon, à M. Lawless, à tous les orateurs en plein vent, qui haranguaient alors, tantôt du pied d’une croix, tantôt de la plate-forme d’un dolmen, le peuple de la verte Érin partout armé, mais partout contenu, malgré les plus terribles excitations.

Causer pendant le dîner aurait été, pour moi, chose difficile ; causer après la sortie de table aurait été, pour beaucoup de mes interlocuteurs, chose absolument impossible. M. O’Connell, auquel je fus présenté comme un jeune catholique tout dévoué à l’Irlande, voulut bien, à raison de mon très-prochain départ, m’accorder un rendez-vous pour le lendemain de grand matin, seul moment de la journée dont il pût disposer sans être interrompu par d’innombrables visiteurs. À sept heures, je sonnai donc à la porte d’une jolie petite maison du West-End. Une servant maid m’introduisit, et le lion en robe de chambre, après un wellcome affectueux, me fit entrer dans une sorte de cabinet de toilette, garni de pieuses images, que j’aurais pu rencontrer dans l’oratoire de ma mère.

Nous parlâmes un peu du Portugal et bien plus longuement de la France, qui, me dit M. O’Connell, était après l’Irlande, l’objet le plus constant de ses pensées. Il m’exprima de vives appréhensions sur l’attitude que prenait le clergé dans les débats dynastiques engagés dans la Péninsule, et me dit que les prétendus services rendus par les rois catholiques et très-fidèles à l’Église depuis deux siècles n’avaient