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Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/12

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levèrent de décevantes espérances, je jouissais de l’éclatant triomphe obtenu par les idées auxquelles j’avais consacré ma vie. Je voyais mon pays rentrer, en faisant l’économie d’une révolution, en possession de la liberté politique imposée au mauvais vouloir du second empire par le sentiment national résolument manifesté ; je croyais enfin, d’une foi ferme, que rien n’ébranlerait, ni dans la paix, ni dans la guerre, la couronne qu’il portait au front depuis tant de siècles. Nous voici cependant, après une courte lutte encore plus humiliante que désastreuse, plongés dans un abîme où tournoient, comme dans une ronde infernale, les plus hideuses visions, la conquête, la misère, la dissolution sociale ! Voici que la nation se réveille chaque matin pour apprendre l’écroulement d’un empire dans la boue, la capitulation de places réputées imprenables, l’impéritie ou la faiblesse de généraux qui ne font plus entrer la mort au nombre des chances que laisse toujours la fortune pour échapper à la honte. Et pour que rien ne manque à cette série de prodiges, voici que la capitale du monde se trouve, sur un parcours de vingt lieues, assez hermétiquement investie pour ne pouvoir communiquer avec lui que par des pigeons voyageurs !

Dans cette ville de deux millions d’âmes, menacée par la famine, par le fer et par le feu, se sont renfermés pour la défendre la plupart des êtres chéris par lesquels je tiens encore à la vie. De mes quatre fils, un seul reste auprès de moi, c’est celui que ma tendresse dispute depuis deux ans à la mort, noble cœur,