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Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/13

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aujourd’hui plus torturé par le sentiment de son impuissance que par l’aiguillon de ses douleurs[1].

Le caractère de cette crise sans exemple suscite en mon esprit je ne sais quelle religieuse terreur ; j’ai tout tenté pour me dérober, par l’étude, à cette sorte d’obsession : ni l’histoire ne me fournit d’analogies pour comprendre, ni la politique d’inductions pour conclure, tant l’invraisemblance de nos malheurs l’emporte encore sur leur étendue !

J’ai voulu compléter mon Histoire du gouvernement représentatif en la poussant jusqu’au rétablissement du régime parlementaire imposé au pouvoir personnel par la volonté du pays ; mais, repris en présence de tant de problèmes nouveaux, ce travail m’a fait éprouver une douleur dont je ne soupçonnais pas l’amertume, celle de douter, sur la fin de sa carrière, des idées qu’on a le plus fidèlement servies. Je me suis réfugié dans la prière pour chercher plus haut le secours que me refusait ma faiblesse, et j’ai demandé à Dieu de détacher mon cœur de ce monde qui semble s’abîmer dans la nuit. Mais l’homme ne reçoit pas toujours ce don fortifiant de prier, plus rare peut-être aux heures où les plus fortes âmes semblent fléchir sous la mystérieuse grandeur des épreuves. Afin de trouver quelque apaisement dans la sereine contemplation du beau, j’ai repris nos écri-

  1. Un mois après ces lignes écrites, mon fils succombait, à l’âge de vingt-sept ans, aux fatigues du voyage d’exploration qui l’avait conduit des bouches du Mékong a celles du fleuve Bleu, à travers le Cambodge, le Laos, la Birmanie et l’Empire chinois.