Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/120

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des habitudes et des dispositions communes rattachent entre elles ces populations, si profondément séparées par la mesure dans laquelle Dieu les admet à participer aux biens de ce monde. Les classes pauvres y sont sérieuses, leur brutalité, si repoussante qu’elle soit, n’est point cynique ; jamais leur lèvres ne se détendent pour lancer, avec un gros rire de vaniteuse satisfaction, le blasphème contre le ciel, lors même qu’il semble le plus inclément pour elles. Ce peuple qui venait de consacrer un demi-milliard à émanciper les noirs de ses colonies par des motifs pieux où notre frivolité a très-vainement cherché à découvrir un calcul, ce peuple qui, par respect pour la liberté, était à la veille de triompher de sa haine contre le catholicisme et contre l’Irlande, reste encore, il faut bien le reconnaître, malgré la plaie béante des divisions religieuses, le peuple le plus chrétien de l’Europe, car c’est celui où le nom du Sauveur fait courber le plus de têtes. Dans cette Angleterre où toutes les classes vivent si profondément séparées par les institutions et par la fortune, tout le monde se ressemble le dimanche, la même pensée s’y réfléchit sur toutes les physionomies et dans l’attitude commune. C’est en effet le pays de la terre où l’opinion publique se reporte le plus naturellement vers les grands mystères de la vie humaine. Un fait dont j’ai conservé l’ineffaçable souvenir m’en apporta la preuve dans le cours de cette journée si bien commencée.

M. O’Connell avait vivement insisté pour que je ne quittasse pas Londres sans visiter les travaux du tunnel