Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/119

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par l’obstination des ennemis de l’Irlande, je n’hésiterais pas à employer l’arme du repeal, car cette arme serait encore légale, quoique d’un usage très-périlleux. J’espère donc fermement que mes efforts parviendront à délivrer, sans que nous ayons à verser une goutte de sang, le pauvre peuple qui s’est confié à moi, et j’espère aussi que moyennant la miséricorde divine, ils ne seront pas inutiles au salut de mon âme. »

À ces mots, O’Connell découvrant son large front, porta les yeux sur un crucifix d’ivoire comme pour prendre Dieu à témoin de la sincérité de ses paroles ; et moi, le cœur plein et la voix tremblante, je m’inclinai devant ce fier libérateur d’un peuple incliné lui-même au pied de la croix. La parodie de l’ancien régime à laquelle je venais d’assister dans la Péninsule avait fortifié ma confiance dans la liberté, et je reçus ce jour-là ma confirmation politique.

Sorti de bonne heure de chez le libérateur, c’était le titre que lui avait décerné l’Irlande, j’employai cette longue journée, la dernière de mon premier séjour à Londres, à parcourir les quartiers immondes où grouille dans les habitations malsaines la population la plus misérable de l’Europe.

La vaste métropole britannique est une ville où les contrastes se présentent sous un aspect beaucoup plus accusé que dans les autres capitales. La richesse et la puissance se révélant sous leur aspect le plus splendide, et parfois le plus insolent, y côtoient sans transition au détour d’une rue le domaine du paupérisme dans ce qu’il a de plus hideux à contempler. Toutefois,