Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/132

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chaque voyage fait à Paris par notre ambassadeur à Londres était-il, pour le cabinet accepté par le monarque à titre d’expérience passagère, l’occasion d’une crise périodique de laquelle il sortait de plus en plus affaibli, malgré l’éclat d’un talent qui semblait s’élever dans la mesure même de l’abandon où le laissait la couronne. Quittant très-fréquemment son poste sans congé, M. de Polignac arrivait à l’improviste au château, semblant s’y présenter pour voir, comme le disait la presse du temps, si le ministère était cuit et bien à point.

Les esprits politiques avaient un sentiment si vif des périls que susciterait pour la monarchie le nom le plus impopulaire du royaume, qu’ils refusaient de croire à la possibilité d’un pareil choix, en se donnant toutes les bonnes raisons qui surabondaient pour le faire écarter. Un jour, M. le prince de Polignac, tout rempli de cette confiance qu’aucune observation n’ébranlait, imagina de venir faire devant la Chambre des pairs une déclaration de ses véritables sentiments politiques. Il crut produire sur l’opinion un effet décisif eu imitant les hommes qui doutaient de son attachement aux institutions constitutionnelles octroyées par la royauté, à pénétrer dans son cabinet de travail. Il déclara que ses adversaires l’y trouveraient entouré des œuvres de Montesquieu et des publicistes anglais, sur lesquelles il ne cessait de méditer, laissant entendre que son serment à la Charte avait une portée d’autant plus sérieuse, qu’il ne s’était déterminé à le prêter qu’après de longues et consciencieuses hésitations.