Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/133

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Je me trouvais, ce soir-là, dans un grand salon de la rive gauche, où la valeur véritable de M. de Polignac était parfaitement connue. Je m’approchai d’un groupe au milieu duquel quelques pairs parlaient, avec un sourire discret, de la harangue qu’ils venaient d’entendre au Luxembourg. Chacun y donnait ses motifs contre la probabilité d’un changement de ministère et contre l’appel de M. de Polignac aux affaires, l’un arguant de l’insuffisance personnelle du prince, un autre de l’impossibilité de rallier sur son nom une majorité parlementaire, la plupart s’accordant sur l’avantage de continuer une expérience que paraissait commander l’intérêt de la monarchie. Un homme écoutait, dans un silence qui ne lui était pas habituel, mais qu’expliquaient d’anciennes relations confidentielles avec Monsieur. Interpellé cependant par une jeune femme que des difficultés de cette sorte n’arrêtaient point, et qui le pria de lui apprendre pourquoi le roi s’obstinait à faire un ministre de M. de Polignac : « Et vous, madame, lui répondit le baron de Vitrolles, pourriez-vous m’apprendre pourquoi l’Église s’obstine à contraindre tous les fidèles à venir, le jour de Pâques, communier à leur paroisse ? — Sans doute, monsieur le baron, c’est pour les obliger à faire une profession publique de leur religion au moins une fois chaque année. — Eh bien, madame, les rois peuvent aussi se croire le devoir de faire, à certains jours, une profession publique de leur foi, et cette obligation est plus stricte peut-être en pays de mécréants. »

Personne ne releva le mot, mais tout le monde com-