Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans-gêne de sa conversation comme par une sorte de dédain calculé pour sa gloire. Quelque beau que fût alors M. de Lamartine, quelque magnifique qu’il ait été un peu plus tard à la tribune, il affectait dans ses relations habituelles des allures un peu soldatesques, et lorsqu’on attendait Apollon, on trouvait un ancien garde du corps. Je m’évertuai vainement à lui adresser les plus chaleureuses félicitations sur la justice que lui avait rendue l’Académie après un échec dont l’opinion publique l’avait vengé. Je ne fus guère plus attentivement écouté en lui exprimant toute mon admiration pour les Harmonies, qui venaient de paraître : « Oui, me répondit-il, je crois que ces deux volumes ne sont vraiment pas mal, quoique la plupart des pièces soient trop peu travaillées et que les épreuves n’en aient été corrigées que par ma femme. Mais au fond, tout cela est de la graine de niais, et le public s’en occupe beaucoup plus que moi, car, d’après ce que me disait ce matin Gosselin, les acheteurs font émeute à sa porte. » Puis, reprenant une conversation politique que mes compliments intempestifs avaient interrompue : « En ce temps-ci, nous dit-il, et dans l’état actuel des choses en France et en Europe où tout se précipite vers une transformation générale, il n’y a plus pour les hommes sérieux qu’un but à poursuivre. Mon élection m’a fait plaisir à cause de mon père, auquel on répétait que son fils avait du talent et qui n’en croyait pas un mot parce qu’il n’était pas de l’Académie française. À part cela, si mes vers sont bons à quelque chose, ce sera pour me faire nommer député. J’ai d’excellentes nou-