Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/145

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gravité par la tangente de M. Agier, formaient, la veille de la révolution de Juillet, l’ardent bataillon de défectionnaires. À côté des gérontes d’une assemblée où l’admission n’avait lieu qu’à quarante ans, on remarquait des jeunes gens dont le nom commençait à poindre, et qui trouvaient, dans un salon abrité par le patronage de M. de Chateaubriand, un terrain tout préparé pour leur avenir. M. Prosper Mérimée, qui venait de donner au public le théâtre de Clara Gazul, introduit en même temps que moi chez la marquise d’Aguesseau, s’y trouva bientôt placé sur le pied de la plus étroite intimité. Il y fut suivi de M. Sainte-Beuve, qui venait de déposer le scalpel de l’étudiant en médecine pour écrire les poésies de Joseph Delorme, bientôt suivies du livre des Consolations : concours de circonstances qui lui attira d’une bouche plus gracieuse que bienveillante le surnom de Werther-Carabin.

Ces deux hommes, appelés à se côtoyer constamment dans la vie et à se suivre de si près dans la mort, avaient, avec un fonds commun d’idées, des tendances et des habitudes d’esprit fort opposées. N’ayant rencontré ni l’un ni l’autre nulle tradition religieuse dans l’atmosphère où s’écoulèrent leurs premières années, ils avaient grandi dans un scepticisme en quelque sorte natif, dont M. Mérimée ne fit aucun effort pour se dégager, et dans lequel M. Sainte-Beuve parut se complaire en l’exploitant comme une source de poésie nouvelle. Si l’un était le Démocrite du scepticisme, l’autre en était l’Héraclite. Tenant la vie pour bonne,