Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/169

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se cramponnant à la foi de leur enfance qui seule les fortifiait contre leur temps et contre eux-mêmes. Ils souffraient du divorce établi entre notre société malade et la grande consolatrice de l’humanité, qui semblait demeurer étrangère à nos souffrances comme à nos idées. En ce moment, en effet, et à la veille des transformations politiques les plus redoutables, aucune voix autorisée ne se faisait entendre pour rapprocher de Dieu tant d’esprits dévoyés ; et de la chaire chrétienne ne tombaient guère que des banalités sans écho, car l’abbé Frayssinous, devenu ministre et haut dignitaire de la cour, l’avait lui-même désertée. Après les élections de 1827 et lors de la chute du ministère Villèle, l’Église silencieuse et vaincue apparut comme enchaînée, sans défense, au char des triomphateurs. Il fallut traverser une crise durant laquelle s’accumulèrent les ruines pour que Henri Lacordaire pût être admis à rajeunir, par sa pittoresque parole, l’enseignement de la vérité toujours ancienne et toujours nouvelle. À l’époque où me reportent ces souvenirs, le régénérateur de la prédication catholique n’était encore qu’un stagiaire obscur, cherchant sa voie au milieu des angoisses générales de son temps dont il allait être bientôt après l’interprète incomparable, j’ai presque dit le chantre immortel. Si Lacordaire produisit un effet immense, c’est qu’il vint parler à ses contemporains la seule langue qu’ils pussent comprendre, et qu’il répondit à leurs aspirations comprimées ; ce fut surtout parce qu’il constata l’éternelle jeunesse du dogme dont tant de voix avaient annoncé la fin pro-