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Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/26

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sans jamais la lasser. J’avais élu domicile à la Sorbonne et à la place Cambrai, à ce point que l’appariteur, me voyant passer des leçons de géographie de M. Barbier du Bocage au cours de droit des gens de M. de Porletz, et me croyant dès lors de force à tout supporter, vint un jour me demander de vouloir bien servir d’auditoire au malheureux professeur de chinois. Incapable jusqu’alors de consacrer une heure à faire une version latine, j’éprouvais une satisfaction inexprimable à entendre M. Burnouf expliquer Tacite, et M. Tissot commenter Virgile plus heureusement qu’il ne l’avait traduit.

J’essayerais vainement de peindre l’étonnement de mon vieil oncle, lorsqu’à l’heure du dîner, il m’interrogeait sur l’emploi de ma journée passée à peu près tout entière dans le quartier latin. Il marchait de surprise en surprise, d’exclamations en exclamations, et celles-ci n’étaient pas toujours flatteuses pour mon amour-propre. Ce fut bien pis lorsqu’au goût des choses intellectuelles, je commençai à joindre celui des intérêts politiques, et qu’il m’eut surpris lisant le Conservateur et la Minerve quand sa bibliothèque pouvait fournir à un jeune homme tant de livres où les juvenilia ne manquaient point. En me rencontrant quelquefois, un journal à la main, dans les allées du Luxembourg, sa promenade habituelle, il accordait de pompeux éloges à ma gravité doctorale, me prédisant une place sur le canapé doctrinaire, point de mire habituel de ses sarcasmes, un sourire légèrement ironique me faisant comprendre qu’il m’aurait volontiers