Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/25

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Un jour, au milieu des affiches de spectacle, j’avisai le programme semestriel des cours du Collège de France et de la Faculté des lettres. Je m’acheminai vers le pays latin par désœuvrement, sans soupçonner que cette affiche venait de décider mon avenir. Je pris un goût soudain et prononcé pour ce mode d’enseignement où le travail du maître fait, tous les frais, les intelligences paresseuses n’ayant qu’à profiter de ses efforts, à peu près comme l’enfant, pour apprendre à parler, profite des paroles de sa mère. J’absorbai tous les jours, sans trop les digérer, une prodigieuse quantité de leçons sur les sujets les plus divers. Ces matières s’accumulaient sans suite dans ma mémoire, comme dans un réservoir inépuisable. Mais au milieu de cette confusion, j’entrevoyais des perspectives dont le mystère m’attirait, et je devinais assez pour souhaiter comprendre. Tout était plaisir et rien n’était travail, car le caractère de cette étrange éducation fut d’être à la fois attrayante et passive. J’allais de l’éloquence à la poésie, de l’histoire ancienne à l’histoire moderne, quelquefois même du droit public à la chimie. J’entendais M. Guizot développer, avec un esprit politique dont la profondeur m’échappait encore, les origines de la féodalité, et M. Villemain dérouler celles de la littérature française avant le dix-septième siècle. Il m’arrivait, quoique plus rarement, de recevoir en pleine poitrine la décharge électrique de M. Cousin, alors maître de conférences à l’École normale, et je cherchais le sens de la leçon dans le regard inspiré du jeune professeur. Ce kaléidoscope charmait ma vue