Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/40

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croyances chrétiennes, de plus en plus raffermies dans mon cœur, m’avaient naturellement conduit à faire partie de cette Société, où quelques premiers essais littéraires m’avaient fait un peu remarquer. Mais le but que l’on s’y proposait, en associant des intérêts passagers au seul intérêt permanent de l’humanité, me répugnait instinctivement ; rien ne me révoltait plus que la mesquinerie des moyens mis en regard de la hauteur des causes. Aussi, tout en me montrant reconnaissant des offres de service que voulaient bien me faire quelques hommes affiliés à la pieuse association dont je viens d’indiquer l’origine, étais-je demeuré très-ignorant de certaines pratiques secrètes, dont quelques vagues confidences m’avaient fait parfois sourire.

Cette ignorance provoqua une petite scène dont je consigne ici le souvenir, en devançant un peu l’ordre des temps. Lorsque je fus admis, à la fin de 1825, au ministère des affaires étrangères, je fus introduit dans le cabinet d’un haut employé de ce département, auquel je remis une lettre d’un personnage considérable de la droite, dont le concours m’avait été des plus utiles. Ce fonctionnaire, aussi ardent dans ses opinions qu’il était tiède dans ses croyances, avait peu profité du précepte classique de M. de Talleyrand, et s’obstinait à déployer du zèle. Il me fit un accueil très-bienveillant, entama une conversation politique à laquelle je me mêlai avec une réserve qui dut lui donner une piètre idée de mon esprit ; et, me tendant enfin la main avec beaucoup de cordialité, il enlaça ses doigts aux miens d’une façon qui m’embarrassa, sans que j’y