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Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/55

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puis cinquante ans qu’une momie enlacée dans des bandelettes. Ce genre artificiel ne pouvait survivre à l’ordre social qui l’avait inspiré. En renversant la vieille hiérarchie, l’Assemblée constituante avait frappé au cœur l’ancienne comédie française, administrée par les premiers gentilshommes de la Chambre, comme une sorte de dépendance domestique de la royauté. Si nos chefs-d’œuvre classiques rencontrèrent quelque faveur sous l’empire, cette faveur s’explique par celle que leur accordait le maître, qui entendait singer la monarchie, pour en renouer à son profit les traditions. Si cette faveur se prolongea quelque peu sous la Restauration, elle s’explique par deux causes : la présence au théâtre d’un interprète incomparable, et la lenteur avec laquelle se développèrent les nouveaux germes littéraires au milieu d’une société bouleversée par la révolution, et qui était si loin encore d’être reconstituée par d’autres mœurs et par d’autres lois.

Talma a reculé de 1787, date de ses débuts, à 1826, date de sa mort, la chute de l’ancien Théâtre-Français. Je ne saurais prononcer ce nom sans me rappeler, avec leurs joies enivrantes, les belles soirées où, après de mortelles heures d’attente passées debout dans un couloir obscur, j’étais enfin admis, et parfois à la suite d’une sorte de lutte, dans cette salle, déjà recueillie sous l’impression anticipée des nobles plaisirs qui l’attendaient. La génération actuelle, qui a conservé un souvenir mérité de l’admirable lectrice à laquelle elle a dû des jouissances d’esprit si délicates, n’a pu se faire aucune idée, en entendant mademoiselle Rachel,