Page:Carné - Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration.djvu/62

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des noms de conspirateurs qu’on ne prononçait pas sans se signer.

J’ai conservé un souvenir charmant des petites soirées littéraires de M. Charles Lacretelle, consacrées à des lectures où s’essayaient les débutants, concurremment avec les poètes émérites en quête d’un auditoire que le théâtre ne leur donnait plus. Là paraissaient, dans l’attitude irritée et mélancolique de vaincus au lendemain d’une révolution, l’auteur de Ninus II, M. Brifaut, l’auteur des Templiers, le savant M. Raynouard, l’auteur de Sylla, sauvé un moment du naufrage par la célèbre perruque de Talma, l’auteur de Germanicus, qui dut un dernier éclair de faveur à quelques années d’exil. On remarquait à côté d’eux MM. Roger, Auger, Campenon, Baour-Lormian, Parceval-Grandmaison, académiciens à cheval sur l’orthodoxie littéraire comme de vieilles marquises sur l’orthodoxie monarchique. Le dernier de ces messieurs ne nous épargna aucun des chants de son poëme épique sur Philippe Auguste, par lequel il croyait avoir rempli, pour la postérité, la plus regrettable lacune de notre littérature française. Ce régime était sévère, et nous cachions plus d’un sourire dans nos jeunes barbes ; mais ces austères soirées étaient presque toujours tempérées par d’heureux incidents. Telle était ordinairement l’entrée tardive, au salon, des habitués de la Comédie Française, venant dans ce dernier sanctuaire ouvert à la légitimité littéraire exhaler leur indignation en présence de l’impénitence finale du public applaudissant un nouveau drame de Victor