Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/127

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viendrait pas du fond même, on sent bientôt l’effort et le parti pris. Elle n’est elle-même, dans la plénitude de ses forces et la liberté de son art, qu’alors qu’elle raconte les troubles délicats de l’amour naissant, les violentes émotions des cœurs éprouvés par la vie ou qu’elle esquisse à grands traits les paysages alpestres, comme dans le voyage aux Pyrénées[1], la vie et l’aspect de Venise, comme dans les Lettres d’un voyageur, ou les scènes tranquilles de la campagne du Berry, dont l’image la poursuivait à travers les enchantements de l’Italie. Elle arrive au comble de son art quand elle unit ces deux inspirations l’une à l’autre, et que, mêlant l’âme de l’homme à la nature, elle attendrit le paysage et ajoute à la grandeur la sympathie.

Cet amour de la nature, elle ne l’avait pas pris seulement à l’école de Jean-Jacques Rousseau, elle l’avait pris en elle-même. Elle avait senti la grandeur religieuse de la terre, la nourrice féconde ; son âme virgilienne avait vécu, pendant une grande partie de son enfance et de sa jeunesse, dans l’intimité des champs et des bois ; elle était vraiment la fille de ce sol natal qui l’avait bercée dans ses sillons, nourrie avec les petits pastours, façonnée à son image, formée de ses influences familières, consolée dans bien des chagrins sans cause, charmée de ses vagues terreurs. Par cette communauté de sensations, elle s’était faite elle-même la sœur des petits paysans qui avaient été

  1. Histoire de ma vie, t. VIII.