Page:Caron - Deux voyages sur le Saint-Maurice, 1889.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 102 —

mutiner. C’est avec bien de la peine que nous nous rendons jusque chez M. Éphrem Desilets. Nous entrons saluer la famille et dire adieu à Nestor ; au revoir est notre dernier mot, et nous nous rendons au chaland. Nos hommes de la Mékinac arrivent de toutes parts, et nous sommes heureux de leur serrer une dernière fois la main. Vivez heureux, ô braves canadiens, nous garderons longtemps votre souvenir.

Traverser le Saint-Maurice vis-à-vis les Piles est l’affaire de quelques instants. Arrivés de l’autre côté, Monseigneur et ses compagnons montent de nouveau dans la voiture de M. Beaudet, tandis que M. Gravel, M. Adélard Bellemare vicaire de Chawinigane, M. Adolphe Landry et M. Joseph Ferron, jeunes ecclésiastiques, sont à la charge de M. Bellemare. Nous n’étions pas bien rassurés, je l’avoue ; et à la première côte que nous rencontrâmes, M. Beaudet jugea prudent de sauter en bas de la voiture, sans cesser de conduire son cheval. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait faire, nous le comprîmes sans difficulté. À la côte suivante donc, M. Prince et moi, nous descendons de voiture ; puis nous prenons notre temps comme des gens qui vivent de leurs rentes. Nous n’avions pas versé une sueur, quand nous arrivâmes sur le terrain plan où la voiture nous attendait. Nous fîmes ce petit jeu-là trois fois dans l’espace de deux lieues.

Mon cher lecteur, quand vous voyagez en voiture ordinaire, aimez-vous à descendre et à remonter les côtes à pied ? Moi, je n’aime pas cela. Je veux que chacun fasse son ouvrage ; l’ouvrage du cheval, c’est de nous mener. Mais ici nous n’avions pas à choisir ; nous craignions que dans sa mauvaise humeur le cheval se mit à ruer et à nous envoyer par la tête les débris de la voiture ; ou bien nous croyions à chaque instant qu’il allait prendre le mors aux dents, et, dans une course vertigineuse, nous assommer quelque part. Quel dommage, si je m’étais fait tuer dans cette circonstance ! je n’aurais donc pas pu vous conter mon voyage. Aussi, il fallait voir avec quel dévouement je m’élançais hors de la voiture ! Quand les côtes furent passées, rien de plus agréable que notre petit voyage.