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notre nacelle, et même à nous faire prendre un bain forcé ; mais aucune ne parvient à nous atteindre. En jetant un regard en arrière, nous voyons les étonnants travaux de la Manufacture se détacher sur le ciel bleu.

Nous traversons actuellement le bassin du pied de la chute. Ce bassin est extrêmement remarquable : on dirait un cirque immense où les vagues se livrent à des jeux et à des combats de toute sorte, ayant pour spectateurs les grands arbres placés en amphithéâtre.

En s’éloignant de la chute l’eau devient plus calme, et l’on entre bientôt dans le Rétréci de la Grand’Mère. Deux rochers viennent en quelque façon étrangler le fleuve, pour le contraindre à réunir ses flots ; cette violence produit un remous épouvantable que la sagesse de mon guide saura bien éviter.

Les eaux s’apaisent ensuite, et alors, comme il arrive toujours après les grandes perturbations de ce genre, il surgit tout-à-coup une île verdoyante : c’est l’île du Rétréci de la Grand’Mère. Ce nom, je l’avoue, n’est pas des plus courts, mais que voulez-vous que j’y fasse ? Le fleuve coule de nouveau tranquille et solitaire, bordé, des deux côtés, d’une forêt vraiment magnifique.

Sur notre gauche, une rivière vient déboucher dans le fleuve. Je pourrais vous faire deviner quel est le nom de cette rivière, et, j’en suis sûr, le mot de cette énigme vous paraîtrait fort difficile à trouver ; mais pour vous éviter de la fatigue, je vais vous dire tout de suite que c’est la petite rivière au Lard, celle-là même que le chemin de fer des Piles coupe à Saint-Maurice. On ne s’attendait guère à la trouver rendue en cet endroit.

Le lecteur curieux brûle de me faire une question : Sur ce fleuve solitaire, dans ces grands bois, n’avez-vous donc vu aucun être vivant ? Quoi ! pas un ours ni un caribou ? Pas même un renard ou un lièvre ? Pas un petit bout d’aigle ou de cygne ? — Non, rien de tout cela ; je l’avoue en rougissant. Je crois que le roi des animaux avait eu connaissance de notre voyage, et qu’il avait envoyé un ukase aux habitants des forêts,