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pour les obliger à se tenir cachés ce jour-là. Nous avons vu quelque chose cependant, mais ce n’était pas grand’chose, ce que nous avons vu. Nous avons vu de nos yeux, sur le Saint-Maurice, un oiseau qui ne volait pas. C’était un canard jeune ou dans le temps de la mue ; ci ce n’était pas un canard, c’était un harle ; si ce n’était pas un harle, c’était une poule d’eau ; mais toujours est-il que nous l’avons bien vu. Nous faisions si peu de bruit qu’il ne remarquait pas notre venue. Aussitôt qu’il nous eut aperçus, il se prit à courir sur l’eau comme les quadrupèdes courent sur la terre : c’était vraiment curieux de voir ses petites ailes frappant les eaux avec tant de rapidité. Comme il ne s’éloignait pas à sa guise, il plongea pour nous laisser passer. Mon guide cessa de pagayer, mais le petit s’obstina à rester sous l’eau, et lorsqu’il revint à la surface, il n’était plus à notre portée.

Mais j’ai quelque chose de plus intéressant que cela à vous dire. Vous êtes-vous déjà demandé en quel endroit le Saint-Maurice est plus beau ? Eh bien ! je puis vous répondre en toute sureté que c’est en haut du rapide des Hêtres, et nous sommes actuellement en cet endroit. Ici les côtes ne sont pas très élevées, mais elles sont couvertes d’arbres choisis qui forment une bordure magnifique. Le courant est assez rapide, et l’eau paraît couler à pleins bords. La rivière a plus de quinze arpents de large. Oui, le Saint-Maurice est beau dans cette partie de son cours, il est beau comme le Saint-Laurent lui-même ; croyez, cher lecteur, que je tire cette comparaison du plus profond de mon cœur de patriote canadien.

Nous voguons longtemps dans ce morceau de paradis terrestre, et je ne me lasse pas de crier : Que le fleuve est beau ! que le fleuve est beau ! Mon guide, à coup sûr, me trouvait bien naïf, bien enfant, mais qu’importe : j’aime à dire ce que je pense.

Une grande batture s’étend devant nous : c’est la batture des Hêtres : veuillez bien retenir ce nom.

Une chose ici me surprend beaucoup : Quand nous sommes partis des Piles, nous avions vent arrière ; le