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je suis venu aujourd’hui m’asseoir à sa table hospitalière.

Il faudrait reprendre aujourd’hui notre excursion de l’automne dernier, mais les employés de M. Rousseau sont un peu las, et nous, nous sommes bien pressés. Si vous le voulez bien, amis lecteurs, nous allons faire cette excursion en esprit : pour vous, ce sera tout aussi bien, et pour nous ce sera beaucoup mieux. Nous ne le dirons pas à notre guide, M. Rousseau n’en aura pas connaissance, ce qui nous amusera extraordinairement. D’ailleurs pour faire un voyage en esprit il faut de toute évidence avoir une certaine dose de cette précieuse faculté ; le fait seul de notre excursion va donc nous séparer du coup, vous et moi, de la foule immense des personnes qui n’en ont pas. Vous avouerez que ce n’est pas là un mince avantage.

Avant de partir cependant, mes très spirituels et très aimables lecteurs, ne trouveriez-vous pas à propos de nous occuper un peu du nom de la chute que nous allons visiter ? Cela est tout raisonnable, n’est-ce pas ?

Eh bien ! la chute que nous allons visiter en esprit dans quelques instants a un nom algonquin, un peu tourné à la façon canadienne. Les Algonquins du Saint-Maurice la nomment encore aujourd’hui Achawénékame, ce qui veut dire Crête ; de ce mot algonquin on a fait Chawinigame ou plus généralement Chawinigane.

Mais vous m’avez l’air bien surpris, mon cher lecteur : qu’avez-vous donc ? Ah ! je vous entends : On nous a toujours dit que le mot Chawinigane signifiait aiguille ou chas d’aiguille, et vous êtes étonné que je vienne contredire l’opinion commune, qui paraît bien fixée sur ce point. Calmez-vous, s’il vous plaît, je crois que nous allons nous comprendre.

Dans le langage des Cris, un dialecte algonquin, Chabonigane veut dire aiguille, non point chas d’aiguille, et quelque personne ont pensé que de là était venu le nom de la chute, et celui d’une petite rivière qui vient se jeter dans le Saint-Maurice à quelques arpents plus bas. Il n’y a pas de mal à prétendre cela, mais ce