Page:Caron - Deux voyages sur le Saint-Maurice, 1889.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 227 —

me coulaient du front, mes habits même étaient trempés, mais voyant mon guide à deux arpents de moi, je m’encourageais à le suivre, car j’étais bien moins chargé que lui.

Nous passâmes dans un endroit où les couches de terrain étaient coupées perpendiculairement, ou plutôt surplombaient notre route. Quel endroit favorable pour faire des études géologiques ! Je me souviens alors d’avoir senti le feu sacré pour l’étude de la Géologie, quand j’étais encore sous le charme des leçons de M. Sterry-Hunt, à l’Université Laval. Je conçus un vague regret d’avoir tourné le dos à la science, et je me sentis humilié de ne pouvoir me rendre compte des stratifications que j’avais sous les yeux. À la fin je me dis avec humeur : il est trop vrai que je ne suis qu’un profane dans le sanctuaire des sciences géologiques, passons notre chemin.

Tout en marchant clopin-clopant, je me retourne de temps à autre pour examiner le rapide : Il est formé de trois cascades principales et d’un grand nombre de petites. M. Benjamin Sulte lui donne une hauteur ce 30 pieds.

Après le rapide proprement dit, le fleuve suit encore une pente très prononcée, et l’eau se précipite avec fracas à travers les pierres qui obstruent de tout côté son passage.

Lorsque nous eûmes marché un certain temps, mon guide crut pouvoir se confier aux flots, malgré la violence extrême du courant ; mais dans un endroit si dangereux, il devait naviguer seul. Il partit avec la rapidité d’un trait ; tantôt il disparaissait au milieu des vagues, tantôt il était lancé comme une épave dans des masses d’écume, c’était effrayant à voir. En un instant il fut loin de moi, cependant je ne fus pas tenté d’envier son sort. Il alla m’attendre dans un endroit où les flots s’étaient adoucis, et quand j’arrivai près du canot il me dit en souriant : Vous pouvez monter avec moi maintenant, il n’y a pas de danger. Je n’étais pas mécontent de me reposer un peu et de faire sécher mes sueurs. Un bon vent semblait souffler tout exprès ;